Dépenses publiques locales : qui paie quoi, pour qui, et pourquoi ?

5 juin 2025

Comprendre l’architecture des finances publiques locales

Des trottoirs aux places de crèche, des réseaux d'eau aux maisons médicales, la vie locale est ponctuée d’investissements que l’on oublie parfois de questionner. Pourtant, derrière chaque projet, gravite la question essentielle de la répartition des dépenses publiques. En France, les collectivités locales – communes, intercommunalités, départements, régions – gèrent en 2022 près de 275 milliards d’euros, soit environ 20% des dépenses publiques totales (source : Insee, Comptes nationaux). Mais comment ces milliards sont-ils répartis concrètement ? Qui décide de quoi ? Quelles sont les marges de manœuvre ? À l’heure où la maîtrise des finances publiques est scrutée, ces questions n’ont rien d’anecdotique.

Les acteurs de la dépense publique locale : un millefeuille organisé

Derrière la fameuse expression du "millefeuille territorial" se cachent quatre grands niveaux de collectivités, chacun disposant de compétences spécifiques et d’un budget propre :

  • Communes : gestion de la proximité, urbanisme, écoles maternelles et primaires, voirie communale, action sociale de base.
  • Intercommunalités (EPCI) : développement économique, collecte des déchets, gestion de l’eau, transports dans certaines agglos.
  • Départements : action sociale (RSA, personnes âgées, handicap), collèges, voirie départementale, soutien au monde rural.
  • Régions : développement économique, lycées, transports (hors Île-de-France), formation professionnelle, politiques environnementales.

Le budget d’une petite commune d’Hérault n’a rien à voir avec celui de Montpellier ou du Conseil départemental : les logiques de dépense sont autant liées aux compétences qu’à la population et à la dynamique territoriale.

Quelle est la composition des dépenses ? Zoom sur les grandes catégories

Fonctionnement et investissement : le grand partage

  • Dépenses de fonctionnement : Cela regroupe les salaires (la masse salariale représente en moyenne plus de 34% du budget total des communes selon la DGCL), la gestion courante, les subventions aux associations, l’achat de fournitures, l’entretien du patrimoine existant, etc. Ces dépenses sont récurrentes, “structurelles”.
  • Dépenses d’investissement : Plus visibles, elles concernent la construction, la rénovation ou la création d’équipements publics (écoles, gymnases, bibliothèques, réseaux d’eau, etc.), mais aussi les acquisitions foncières et certaines études préalables.

Un exemple concret : la commune de Sète (Hérault)

  • Budget primitif 2023 : environ 106 millions d’euros
  • Fonctionnement : 61 millions d’euros (57,5%)
  • Investissement : 45 millions d’euros (42,5%)

À l’échelle rurale, une commune comme Prémian (environ 650 habitants) répartit souvent 80% pour le fonctionnement, le reste pour un investissement pluriannuel, parfois rendu possible grâce à des subventions.

Quels sont les champs d’intervention des dépenses locales ?

1. L’éducation, premier poste pour beaucoup

  • Communes : cantines, écoles, équipements numériques, entretien ; en 2022, 21% de leurs dépenses de fonctionnement (source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales, OFGL).
  • Départements : collèges, transports scolaires.
  • Régions : lycées, orientation, équipements spécialisés.

2. Solidarités et action sociale

  • Premier poste pour les Départements (de 45% à 55% de leur budget selon les territoires, dont versement du RSA, allocations personnes âgées, etc.).
  • Communes : aide sociale d’urgence, CCAS, petites aides facultatives.

En Hérault, le département a consacré 819 millions d’euros à l’action sociale sur un budget total de 1,642 milliard en 2023 (source : Département de l’Hérault).

3. Voirie, mobilités, transports et urbanisme

  • Entretien des routes communales ou départementales.
  • Création/gestion de réseaux cyclables, parkings relais, transports urbains. En 2021, le budget mobilités de Montpellier Méditerranée Métropole atteignait 111 millions d’euros (hors nouveaux investissements).
  • Aménagement urbain : rénovation de quartiers, gestion des espaces publics, requalification.

4. Logement, environnement, culture et sport

  • Soutien à la construction/rénovation de logements sociaux.
  • Soutien aux associations sportives, aux clubs, aux équipements sportifs.
  • Gestion des espaces naturels, réserves du littoral, entretien et valorisation, parcs naturels régionaux.
  • Subventions à la création culturelle, organisation d’événements, gestion de médiathèques.

Un exemple : en Occitanie, la Région consacre environ 7% de son budget à la culture (près de 75 millions d’euros en 2023 selon le Conseil régional).

Comment s’opère la répartition ? Les mécanismes de décision et d’allocation

Des arbitrages budgétaires entre contraintes, besoins et latitude politique

  • Voté chaque année, le budget local traduit des arbitrages, souvent rythmés par des priorités politiques (jeunesse, environnement, sécurité, etc.) et par la participation citoyenne (vote, consultations, comités participatifs, budgets participatifs dans certaines villes)... même si la marge de manœuvre reste parfois ténue.
  • La part de financement obligatoire (“dépenses contraintes” : entretien écoles, salaires, remboursement de la dette, retraites) laisse autour de 10% à 20% de la section de fonctionnement en “liberté” selon la taille de la collectivité.
  • Les marges d’investissement dépendent souvent du recours à l’emprunt et aux subventions d’État, de Région, de Département… ou de l’Union européenne.

Focus sur les subventions croisés : un vrai labyrinthe ?

  • En 2021, un projet local d’investissement peut mobiliser jusqu’à 4, voire 5 financeurs (collectivité, Département, Région, État, Europe). Par exemple, la rénovation d’une médiathèque à Saint-Pons-de-Thomières a reçu l’appui de la Communauté de communes, du Département, de la Région et du Fonds européen LEADER.
  • Cette multiplicité demande des dossiers techniques, favorise les grandes collectivités, mais permet aussi de concrétiser des projets dans les zones rurales.

Dépenses publiques locales : chiffres et disparités

Combien dépense-t-on par habitant ?

  • Dépenses totales des collectivités locales (hors enseignement supérieur/hôpitaux) : 273 milliards d’euros en 2022 (source : DGCL, Insee).
  • Dépenses par habitant (France métropolitaine, 2021, source : OFGL) :
    • Métropole de Lyon : près de 3 200 € / hab.
    • Paris : 6 100 € / hab.
    • Moyenne nationale : environ 4 000 € / hab. (hors transferts État)
    • Hérault : légèrement supérieure à la moyenne occitane, proche de 4 200 € / hab.
  • Écart important selon la taille, la richesse et la dynamique : un village rural fonctionne souvent avec moins de 2 500 € par habitant, une grande ville ou intercommunalité passe la barre des 5 500 €.

Les collectivités locales financent par ailleurs plus de 70% de l’investissement public civil en France (réseaux, bâtiments, équipements), ce qui pèse sur la capacité de transformation. À l’inverse, seule une faible part de la dette publique est locale (environ 9,5% du total en 2022, source : Banque de France).

Transparence, contrôle et enjeux actuels

  • Transparence croissante, accessibilité des budgets locaux en ligne via data.gouv.fr et OpenData des collectivités : chacun peut vérifier les grandes lignes, mais la complexité technique freine l’appropriation.
  • Contrôle régulier par les chambres régionales des comptes, qui pointent les dérives ou alertent sur la viabilité de certaines dépenses (cas célèbre : gestion complexe des finances de Béziers dans les années 2010).
  • Grands enjeux actuels :
    • Hausse des coûts de l’énergie, inflation et salaires pèsent sur la section de fonctionnement.
    • Mobiliser les investissements pour la transition écologique (rénovation énergétique des écoles, mobilités douces, requalification urbaine).
    • Limiter l’endettement : de 2013 à 2022, la dette des collectivités a baissé de 12%, tandis que celle de l’État progressait (source : Banque de France).

Outils pour suivre les dépenses publiques locales

  • Observatoire des Finances et de la Gestion Publique Locales (OFGL) : outils de visualisation, rapports annuels.
  • Banque des Territoires : fiches synthétiques par collectivité.
  • data.gouv.fr : extraction des lignes budgétaires et dépenses réelles.
  • Sites officiels des communes, départements, régions souvent dotés d’un “budget citoyen” ou d’une présentation simplifiée.

Pour aller plus loin : la dépense publique locale, reflet de choix collectifs

La répartition des dépenses publiques au niveau local n’est ni figée ni neutre. Elle évolue au rythme des exigences de la population, des choix politiques, de la conjoncture économique, et parfois des pressions extérieures (inflation, catastrophes naturelles, mutations industrielles). Elle est le produit de compromis, d’arbitrages, mais aussi d’initiatives originales (budgets participatifs, finances responsables, soutien à l’innovation sociale…). Derrière les colonnes chiffrées se dessinent les priorités d’un territoire et la manière dont il façonne son avenir.

Comprendre le détail et la logique de ces dépenses, c’est reprendre la main sur le débat public local, et se donner les moyens de peser, d’alerter, de proposer – bref, de jouer pleinement son rôle de citoyen.

  • Sources principales : Insee, DGCL, Observatoire des finances locales (OFGL), Banque de France, Département de l’Hérault, Région Occitanie, collectivités locales