Fiscalité locale : comprendre qui paie, pourquoi, et comment cela façonne nos territoires

19 juin 2025

Fiscalité locale : une mosaïque d’impôts souvent méconnus

La fiscalité locale est omniprésente, mais rarement prise au sérieux dans les débats citoyens. Tout le monde a entendu parler de la taxe foncière ou de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, peu savent à quoi elles servent réellement, qui fixe leur montant, et surtout, pourquoi certaines augmentent alors que d’autres disparaissent ou évoluent. Pourtant, elle agit silencieusement sur la vie concrète de chacun, conditionnant la qualité des services publics locaux, de l’entretien des écoles aux transports en passant par la collecte des déchets.

Le système français se singularise par une diversité unique d’impositions locales, héritages de l’histoire et reflets de l’organisation décentralisée de la République. Pour décrypter ce millefeuille, un arrêt sur images s’impose : quelles sont ces taxes, à quoi servent-elles, et qui en supporte (vraiment) le coût ?

Quelles sont les principales taxes locales ? Quelques repères dans la complexité française

La fiscalité locale en France, ce sont des milliards d’euros collectés chaque année par les communes, intercommunalités, départements et régions. Selon les chiffres du ministère de l’Économie et des Finances, elle totalisait environ 113 milliards d’euros en 2022 (hors fiscalité transférée à l’État), ce qui équivaut à près d’un tiers du budget global de la sphère publique locale (source : Ministère de l’Économie).

Voici les impôts locaux les plus significatifs en 2024 :

  • Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) : acquittée par les propriétaires, particuliers ou entreprises, elle finance principalement les communes et les intercommunalités.
  • Taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) : pour les terrains agricoles, forêts, etc.
  • Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) : payée en général par le propriétaire, souvent répercutée sur le locataire, son montant est fixé par chaque commune.
  • Contribution économique territoriale (CET) : regroupe la CFE (cotisation foncière des entreprises) et la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, en cours de suppression progressive), payée par les entreprises installées localement.
  • Taxe d’habitation sur les résidences secondaires : depuis la réforme engagée en 2018, elle ne concerne plus les résidences principales de 80% des ménages.
  • Droits de mutation à titre onéreux (DMTO) : aussi appelés « frais de notaire », perçus lors de la vente d’un bien immobilier, ils alimentent les départements.

Qui paie la fiscalité locale ? Ménages, entreprises, propriétaires… mais derrière, chaque habitant

Sous l’intitulé générique de « contribuable local », on retrouve plusieurs profils : le propriétaire occupant, le propriétaire bailleur, le locataire, l’entreprise. La réalité : l’essentiel de la fiscalité locale pèse sur les ménages (via la taxe foncière, TEOM, taxe d’habitation résiduelle) et sur les entreprises (CET). Les locataires n’échappent pas à la note : la TEOM leur est souvent refacturée, et les hausses de taxe foncière sur l’immobilier locatif sont quasi systématiquement intégrées dans la revalorisation des loyers.

  • En France, près de 47 % des recettes fiscales locales proviennent de la taxe foncière (source : Cour des comptes 2023).
  • Les entreprises financent environ 31 % du total à travers la CET.
  • Les départements vivent en grande partie grâce aux DMTO (droits de mutation), qui explosent dans les zones tendues – une manne inégalitaire puisque certains départements encaissent dix fois plus que d’autres selon le volume de transactions immobilières (source : France Info, janvier 2024).

Un détail souvent éludé : le propriétaire non occupant, qui loue un logement, n’est pas exonéré de la taxe foncière – ce qui tend, dans les villes touristiques ou universitaires, à favoriser la hausse générale des loyers.

Où va l’argent ? Décryptage des postes de dépenses grâce à la fiscalité locale

Les collectivités locales gèrent près de 20 % de la dépense publique totale (Insee 2022). Les impôts locaux financent la voirie, les écoles, la petite enfance, la politique sociale, la gestion des déchets, les réseaux d’eau, l’urbanisme, mais aussi – dans les départements et régions – les collèges/lycées, les transports interurbains, RSA, personnes âgées, etc.

Quelques exemples concrets dans l’Hérault, pour donner corps à ces chiffres :

  • Le départment de l’Hérault consacre plus de 840 millions d’euros par an à la solidarité (personnes âgées, handicap, enfance, insertion…), soit 56 % de son budget (source : Conseil départemental de l’Hérault, budget primitif 2023).
  • La Métropole de Montpellier investit près de 170 millions d’euros par an dans les transports en commun – largement subventionnés par la fiscalité locale et la contribution économique territoriale.
  • Pour chaque habitant, la dépense moyenne « locale » : environ 2 150 € par an, dont 48 % sont financés par l’impôt local d’après l’association des maires de France (AMF, 2023).

Les collectivités articulent leur budget sur la fiscalité mais aussi sur des dotations de l’Etat et des recettes variées (tarification des services, amendes, etc.). Depuis 2014, les dotations de l’État aux collectivités ont baissé de plus de 30 %, accentuant la dépendance à l’impôt local pour équilibrer les budgets (source : DGCL, Bilan financier annuel).

Pourquoi la fiscalité locale évolue-t-elle ? Réformes, transferts, tensions locales et nationales

En France, la fiscalité locale évolue au gré des grandes réformes et des impératifs sociaux (juste répartition de la charge), économiques (attractivité du territoire) ou politiques (désengagement de l’Etat). Trois inflexions majeures depuis 2017 :

  1. Suppression progressive de la taxe d’habitation : d’ici 2024, seuls les résidences secondaires et logements vacants seront soumis à cette taxe. Pour compenser le manque à gagner, les collectivités bénéficient désormais d’une fraction de la TVA nationale – une recentralisation subtile qui a fait débat.
  2. Bouleversement de la CET (suppression en cours de la CVAE, en 2024) : moins de recettes pour les intercommunalités et régions, inquiétudes sur la compensation par l’Etat.
  3. Indexation de la taxe foncière sur l’inflation : la revalorisation nationale de 7,1% en 2023 a fait flamber les avis d’imposition, alors que de nombreuses communes (dont Montpellier, Sète, Béziers) ont aussi voté des hausses de taux, pour « compenser » la baisse des dotations et financer la transition écologique.

Localement, les modifications de taux sont débattues en conseils municipaux ou communautaires – rarement en présence de dizaines d’habitants. Pourtant, ces choix structurent l’investissement, la qualité des équipements, l’accueil des familles ou la lutte contre la précarité énergétique.

Fiscalité locale, inégalités territoriales et enjeu de démocratie

Dans l’Hérault, comme ailleurs, la fiscalité locale traduit des écarts sensibles de richesses et d’opportunités :

  • Une petite commune rurale récolte parfois 30 000 € à 50 000 € de foncier, quand une grande ville dépasse les 100 millions d’euros.
  • Le nombre de transactions immobilières pèse : sur le littoral et dans les agglomérations en croissance, l’afflux résiduel de « droits de mutation » fausse la capacité d’investissement par rapport aux zones rurales dépeuplées.
  • L’explosion de la taxe foncière (+12 % à Montpellier entre 2022 et 2024) concentre le mécontentement, en particulier chez les jeunes ménages accédant à la propriété et chez les personnes âgées propriétaires d’un bien payé de longue date.

La question de qui paie ne se résume pas à la simple opposition « locataire/propriétaire ». C’est celle, plus large, de la justice fiscale à l’échelle d’un territoire. Les choix d’urbanisme, de développement économique ou d’accueil de nouvelles populations influent directement sur la structure des recettes… mais aussi sur la nature de la dépense.

Repenser l’impôt local : enjeux, innovations et pistes de réflexion

Face à la crise du logement, à la hausse des coûts de l’énergie et aux besoins sociaux croissants, la fiscalité locale est endémique de tensions. Faut-il taxer davantage les résidences secondaires, comme l’ont décidé plus de 2 000 communes en 2023 ? Repousser la charge fiscale vers les entreprises, sous risque de fragiliser l’emploi local ? Ou bien mieux associer la population à la définition des priorités budgétaires ?

Ailleurs en Europe, certaines villes expérimentent des innovations locales (sources diverses sur la fiscalité locale européenne) : taux différenciés selon la taille des ménages, consultations citoyennes pour fixer le taux des taxes locales, compensation écologique intégrée à l’assiette foncière…

Derrière la complexité, une certitude : la fiscalité locale, parce qu’elle est proche, vitalise le débat citoyen et façonne durablement le territoire. Maîtriser ses ressorts, c’est mieux peser dans les choix collectifs, et donner du sens à chaque euro prélevé… ou investi au coin de sa rue.

En savoir plus à ce sujet :

Articles