La mécanique cachée des impôts locaux : qui prélève quoi, pour financer quels services publics ?

22 juin 2025

Panorama des principaux impôts locaux

Il existe plusieurs couches d’impôts locaux, en fonction du niveau de collectivité : commune, communauté de communes ou d’agglomération, département, région. Mais leur origine et leur répartition ont beaucoup évolué ces dernières décennies, au gré des réformes fiscales et des transferts de compétences (notamment lors de la suppression partielle de la taxe d’habitation).

  • La taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB)
  • La taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB)
  • La taxe d’habitation (sur les résidences secondaires uniquement, aujourd’hui)
  • La contribution économique territoriale (CET), comprenant la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)
  • Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO)
  • Des taxes additionnelles spécifiques : ordures ménagères (TEOM), taxe de séjour, etc.

Chacun de ces impôts alimente une collectivité précise, parfois selon des calculs imbriqués. Examinons-les tour à tour :

La taxe foncière, pilier des communes et départements

Depuis 2020, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) constitue le socle des budgets municipaux. Elle concerne tous les propriétaires, qu’ils habitent leur logement ou le louent. Calculée à partir de la valeur cadastrale locative (théorique) du bien, elle est soumise à des taux fixés source : collectivites-locales.gouv.fr chaque année par les communes et départements. En 2023, le taux moyen communal dans l’Hérault est de 37,7 % – sensiblement supérieur à la moyenne nationale (35,6 %).

  • Montants collectés : En France, la TFPB a rapporté 28,5 milliards d’euros en 2022 (source : DGFiP). Pour l’Hérault, cela représente environ 540 millions d’euros, dont près des deux tiers pour les communes, l’autre tiers revenant au département.
  • Spécificité récente : Avec la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales (arrivée à son terme fin 2022), la taxe foncière est devenue le principal levier fiscal direct des communes. D’où une hausse régulière des taux dans de nombreux territoires (en 2023, +7,1 % en moyenne).

Les communes peuvent activer d’autres taxes annexes, comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), dont le produit finance spécifiquement la collecte et le traitement des déchets.

Taxe d’habitation : l’après-suppression et effets collatéraux

La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (mesure phare engagée dès 2018, finalisée en 2023) a bouleversé les équilibres financiers des collectivités. Désormais, elle ne concerne plus que les résidences secondaires et certains logements vacants, représentant une manne bien moindre : 2,3 milliards d’euros en 2022 à l’échelle nationale, contre près de 18 milliards avant la réforme (source : Vie Publique).

  • Les montants résiduels bénéficient intégralement aux communes où se situent ces résidences secondaires. Dans l’Hérault, 9,4 % des logements sont des résidences secondaires (source : INSEE, 2020). Plusieurs villes littorales (Agde, Sète, Palavas-les-Flots…) affichent ainsi des recettes encore notables.
  • Les familles et ménages modestes ne s’acquittent plus de cet impôt, mais la compensation étatique n’est pas mécaniquement indexée sur l’évolution démographique ou le développement urbain. Un vrai débat local.

Cotisation Foncière des Entreprises et Contribution Économique Territoriale

Le financement local ne reposerait pas que sur les ménages. Les entreprises participent via deux canaux :

  1. La cotisation foncière des entreprises (CFE): toute société ou professionnel indépendant disposant d’un local sur le territoire d’une commune ou intercommunalité y est soumis, dès le premier euro de chiffre d’affaires (hors exceptions, comme les auto-entrepreneurs sous un certain seuil).
  2. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) : un impôt national redistribué partiellement aux collectivités (en forte baisse depuis 2023, pour répondre à la pression fiscale des entreprises).

En 2022, la CFE a rapporté environ 7,5 milliards d’euros (source : DGFiP). Dans l’Hérault, Montpellier Méditerranée Métropole a collecté à elle seule 81 millions via la CFE. Ces recettes profitent majoritairement aux intercommunalités, qui peuvent ainsi financer le développement économique (zones d’activités, transports, soutien à l’emploi).

Droits de mutation : la variable peu prévisible

À chaque achat de bien immobilier, l’acquéreur verse un impôt, le fameux « frais de notaire », dont l’essentiel va… aux collectivités. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) alimentent principalement le budget des départements (pour près de 80 %). En 2022, ils représentaient plus de 21 milliards d’euros sur tout le territoire, au point d’être devenus la deuxième recette fiscale des départements après la TFPB (source : Banque des Territoires).

  • La part des DMTO est très variable selon la santé du marché immobilier. Dans l’Hérault, elle a bondi de 179 millions d’euros en 2016 à 246 millions en 2021, avant de décroître fin 2023 (avec la crise immobilière), exposant le Conseil départemental à de fortes incertitudes budgétaires (source : Observatoire des finances publiques, 2023).

Taxe de séjour, taxes spécifiques : l’imagination des territoires

Zones touristiques, intercommunalités rurales ou stations balnéaires… chaque collectivité développe des taxes additionnelles adaptées à son profil :

  • Taxe de séjour : payée par les touristes hébergés sur le territoire (hôtels, campings, meublés). Par exemple, les recettes de la taxe de séjour ont dépassé les 2,4 millions d’euros à Sète Agglopôle en 2022.
  • Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) : souvent passée inaperçue, elle pèse significativement sur la feuille d’impôts fonciers. Dans la Métropole de Montpellier, le taux de TEOM a été porté à 11,25 % en 2023 – couvrant un budget de gestion des déchets de plus de 97 millions d’euros (source : Montpellier Méditerranée Métropole).
  • Contribution spéciale voirie, taxe sur la publicité extérieure… Autant de dispositifs ciblés, visibles surtout en zone urbaine ou touristique.

Du local au national : compensation, péréquation et marges de manœuvre

Avec la suppression de la taxe d’habitation, l’État a instauré des mécanismes de compensation pour préserver l’autonomie financière des communes : transfert d’une part de la taxe foncière départementale, dotations globales (DSU, DGF…), péréquations verticales et horizontales entre territoires riches et pauvres. Mais ces dispositifs n’offrent pas la même lisibilité ni la même adaptabilité que les impôts directs.

  • Contraintes démocratiques : Si les communes fixent leurs taux d’imposition pour la TFPB ou la TEOM, l’espace budgétaire reste limité face aux charges croissantes (augmentation des salaires, inflation, besoins sociaux…).
  • Effet sur la fiscalité locale : Entre 2012 et 2022, la fiscalité locale (tous impôts confondus) a progressé de +24 % dans l’Hérault (source : Chambre régionale des comptes Occitanie), bien au-delà de l’inflation cumulée. Une pression ressentie dans le pouvoir d’achat des habitants, notamment propriétaires modestes et petites entreprises.

Évolutions, disparités et perspectives : ce que disent les chiffres locaux

Le champ local n’est pas uniforme, loin s’en faut. On observe par exemple (source : INSEE/DGFiP, 2023) :

  • Des écarts de taux marqués : Dans l’Hérault, la TFPB varie de 21,9 % (Saint-Drézéry) à 52,4 % (Agde).
  • Des recettes très dépendantes du contexte : une commune littorale vivra beaucoup des taxes de séjour et de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, une commune périurbaine misera sur la TEOM et la TFPB, tandis qu’une intercommunalité dotée d’un pôle économique (Montpellier, Béziers, Lunel…) bénéficiera largement de la CFE.
  • Un risque d’effet « ville riche/ville pauvre » : les capacités d’investissement divergent brutalement selon la typologie locale, incitant à renforcer la solidarité entre collectivités via la péréquation.
  • La tentation de l’optimisation fiscale : au fil des réformes, de plus en plus de propriétaires et d’entreprises recherchent les moyens de réduire la note, parfois au détriment de la cohésion territoriale.

Impôts locaux : levier de débat démocratique pour les territoires

Longtemps perçus comme des prélèvements mécaniques et subis, les impôts locaux redeviennent un sujet politique à mesure que les besoins publics (santé scolaire, logement, mobilités douces, transition climatique…) s’accroissent et que les marges de manœuvre financières se resserrent.

Le débat sur le rôle, le niveau et la transparence de la fiscalité locale est d’autant plus crucial chez nous qu’il s’accompagne de fortes dynamiques démographiques, d’un tissu associatif vivant et de disparités de plus en plus visibles (rural/urbain, littoral/intérieur). Repenser la répartition des charges, clarifier l’affectation des recettes, et associer plus étroitement les citoyens aux grandes décisions budgétaires : voilà des enjeux, non pas d’experts ou de techniciens, mais de démocratie locale vivante.

Pour aller plus loin : chaque année au printemps, les collectivités votent leur budget. Chacun peut demander (en mairie, sur les sites web officiels, ou lors des conseils municipaux) à consulter les documents budgétaires. Ils révèlent, en toute transparence, où va l’argent public… et posent la question : quels services souhaitons-nous, et quel effort collectif sommes-nous prêts à assumer ?

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