Derrière les chiffres : comprendre la gestion de la dette des collectivités locales

30 juin 2025

Endettement local : un enjeu discret, un impact concret

Les dettes contractées par les collectivités locales – communes, départements, régions – semblent souvent lointaines, perdues dans les arcanes des finances publiques. Mais elles façonnent le quotidien, conditionnant la qualité des équipements, la maintenance des écoles, la gestion de l’eau ou des transports. L’endettement des collectivités locales, pourtant, ne se confond ni avec celui de l’État, ni avec celui des ménages. Il obéit à des règles spécifiques, porte sur des enjeux de long terme et connaît des mécanismes de contrôle singuliers.

Un paysage contrasté : dettes, acteurs et volumes

Fin 2022, selon la Banque de France, l’encours de dette des collectivités locales s’établissait à 182 milliards d’euros (hors établissements publics locaux). Ce montant, stable depuis cinq ans, concerne plus de 45 000 collectivités françaises, de la petite commune à la métropole, en passant par les conseils départementaux et régionaux (Banque de France, novembre 2023).

  • Communes : 59 % de l’encours total
  • Départements : 21 %
  • Régions : 16 %
  • Établissements publics de coopération intercommunale : 4 %

À l’échelle régionale, l’Hérault, par exemple, affiche une dette modérée en comparaison d’autres départements, avec environ 480 € par habitant en 2022 selon la DGFiP (collectivites-locales.gouv.fr), soit sensiblement en dessous des moyennes nationales pour les départements (620 € par habitant).

D’où vient la dette ? Investir aujourd’hui, rembourser demain

Contrairement à l’État, les collectivités locales en France n’ont pas le droit de s’endetter pour financer leur fonctionnement (salaires, aide sociale au quotidien, entretien courant). L'emprunt doit servir exclusivement à financer des investissements : construction d’écoles, rénovation de voirie, réseaux d’eau, équipements culturels et sportifs. Ce principe de « règle d’or » protège contre la « fuite en avant » – même si, dans les marges, la frontière investissement/fonctionnement n'est pas toujours si nette.

Dans la pratique, un projet majeur (par exemple une ligne de tramway à Montpellier) mobilise sur plusieurs années un financement croisé : subventions de l’État ou de l’Europe, autofinancement (surplus budgétaire), et emprunt à long terme auprès de banques privées, de la Caisse des dépôts, parfois du secteur obligataire.

Comment les collectivités empruntent-elles ?

Jusqu’aux années 2000, les banques françaises dominaient largement le prêt aux collectivités. La crise de 2008 – puis l’affaire dite des « emprunts toxiques » – a rebattu les cartes. Certaines collectivités, attirées par des taux d’appel alléchants, se sont retrouvées exposées à des risques financiers majeurs (exemple : Ville de Saint-Étienne, Département de Seine-Saint-Denis).

Depuis, la prudence est de mise : la plupart des emprunts sont non structurés, à taux fixe ou variable, pour des durées entre 15 et 30 ans. Trois principaux prêteurs restent actifs :

  • Banques françaises (Crédit Agricole, Banque Postale, Crédit Mutuel, etc.)
  • Caisse des dépôts et consignations (CDC) – acteur public historique
  • Banque Européenne d’Investissement (BEI) – sur de gros dossiers structurants

Des acteurs comme la Banque Postale (créée en 2006) ont pris une place grandissante dans l’offre de crédit. Notons que l’émission d’obligations (via des placements sur les marchés financiers) reste encore minoritaire en France, réservé aux grandes agglomérations ou métropoles (Nantes, Toulouse, Lille, Métropole de Lyon).

Qui surveille la gestion de la dette ?

La gestion de la dette locale en France est strictement encadrée :

  • Chaque année, le Conseil municipal (ou départemental, régional) vote le budget et les autorisations d’emprunt.
  • Les comptes sont contrôlés par la Chambre régionale des comptes (CRC), qui peut alerter en cas de dérive.
  • La préfecture dispose d’un droit de regard, surtout si l’équilibre budgétaire n’est pas respecté.
  • Des rapports tels que celui de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL 2023) analysent la soutenabilité sur le temps long.

Des indicateurs sont suivis de près, en particulier :

  • Le taux d’endettement : rapport entre la dette et la capacité de remboursement (souvent exprimée en années).
  • La capacité d’autofinancement : mesure de ce que la collectivité peut investir ou rembourser sur ses ressources propres.

Que risquent-elles en cas de surendettement ?

Une collectivité qui dérape (déficit chronique, explosion des charges d’intérêts, baisse des recettes fiscales) voit sa marge de manœuvre se réduire. L’exemple emblématique reste la commune de Saint-Étienne, passée sous tutelle en 2017 et contrainte de contracter rapidement ses dépenses de fonctionnement (fermeture de services, report d’investissements).

En cas de blocage, la préfecture peut saisir le tribunal administratif, imposer un budget de retour à l’équilibre. Il est aussi courant de voir les élus geler les investissements, repousser des projets ou augmenter la fiscalité locale (taxe foncière, taxes sur le foncier bâti et non bâti, etc.).

Des stratégies pour limiter la dette

La gestion de la dette n’est ni passive ni mécanique. Voici quelques leviers classiques :

  • Choix d’investissement sélectif : prioriser les projets aux retombées sociales ou économiques les plus marquées. Certaines villes, comme Sète, ont ralenti la rénovation de bâtiments publics pour consacrer davantage de fonds propres à la mise à niveau des réseaux d’eau, jugés stratégiques.
  • Allongement, renégociation de dette : certaines collectivités, face à la hausse des taux en 2022-2023, ont profité de périodes antérieures pour renégocier à la baisse leurs coûts de financement. D’autres, à l’image de Toulouse Métropole, utilisent la diversification (prêts à taux fixe et variable) pour lisser leur risque.
  • Recherche de financements alternatifs : les partenariats public-privé, les subventions, ou l’émission d’emprunts verts (notamment sur la rénovation énergétique) sont de plus en plus sollicités.

Le recours accru à l’épargne locale (sous forme de bons ou de placements collectifs) demeure anecdotique en France, contrairement à l’Allemagne ou à la Suisse.

Un impact direct sur la vie locale : quels arbitrages, quelles limites ?

La dette locale, bien gérée, permet d’accélérer des projets structurants, de moderniser les infrastructures ou d’absorber des chocs (pandémie, crise énergétique). Mais dès que la tendance s’inverse, les tensions sociales ne tardent pas. Après la flambée des taux d’emprunt de 2023 (remontée de 1 % à plus de 3 % en un an, source Dataprocess/SFL), plusieurs communes de l’Hérault ont limité la construction de nouvelles écoles ou reporté des réhabilitations, faute de pouvoir absorber la hausse des intérêts sans toucher la fiscalité.

Les arbitrages se font au plus près des conseils municipaux. Le cas d’Agde en 2023 l’a montré : 2,8 M€ d’investissement différés, fléchés majoritairement sur la voirie et la rénovation énergétique – au détriment de la création d’un nouvel espace sportif. À Montpellier, la capacité de désendettement (temps nécessaire pour rembourser la dette à niveau de ressources constant) est restée sous les 8 ans en 2022 : une situation jugée saine par la CRC (rapport d’orientation budgétaire Montpellier).

La montée des exigences écologiques contraint également la stratégie. De nombreuses collectivités privilégient des investissements « labelisés verts » – accès à des crédits à taux préférentiels, incitations de la BEI, etc.

Quelques mythes et réalités

  • L’endettement local, est-ce une fuite en avant ? Non. La règle d’or oblige à n’emprunter que pour investir, c’est-à-dire pour transmettre aux générations futures non seulement la dette, mais les équipements, infrastructures ou patrimoines qui en résulteront.
  • Les collectivités peuvent-elles faire faillite ? Le droit français l’interdit pratiquement : l’État garantit, in fine, la soutenabilité via des mécanismes de tutelle.
  • Faut-il redouter la hausse de la dette ? Tout dépend du contexte. Un endettement maîtrisé joue un rôle d’accélérateur du développement local. Mais dès lors que les recettes stagnent (baisse des dotations, base fiscale limitée), la marge se resserre.

Gérer la dette locale : un équilibre mouvant

Dans un contexte où les marges de manœuvre financières se réduisent (baisse des dotations de l’État de 11 Mds € entre 2014 et 2017, stabilité depuis : OFGL 2023), les collectivités doivent naviguer entre ambition d’investissement et prudence de gestion. Les habitants, eux, ressentent directement dans leur quotidien le niveau d’endettement et les choix qui en découlent, de la rapidité de renouvellement d’une école à la fréquence des transports publics. Comprendre comment ces mécanismes s'articulent permet d'aller au-delà des indignations ponctuelles ou des procès en « gabegie » – et d’alimenter le débat citoyen sur la trajectoire de nos territoires.

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