Marchés publics : ce que tout citoyen peut consulter une fois le contrat signé

30 octobre 2025

Pourquoi la transparence des marchés publics concerne tout le monde

La dépense publique n’est jamais neutre : chaque euro engagé façonne le territoire, de la réalisation de nos routes à la gestion des déchets, des cantines scolaires à la construction de logements sociaux. Or, c’est précisément ce processus que les marchés publics rendent visible — mais à condition de connaître ses droits. Après la signature d’un marché public, toute une série de documents devient en principe accessible à la population, révélant les dessous de décisions parfois contestées, et offrant un pouvoir de contrôle citoyen. Encore faut-il démêler ce qui relève de l’information ouverte de ce qui reste protégé.

Le cadre juridique de l’accès : Code de la commande publique et loi CADA

L’accès aux documents administratifs s’appuie sur un principe fondateur posé par la loi du 17 juillet 1978 (dite loi CADA), consolidé par le Code de la commande publique. Ce dernier impose la publication d’informations précises, mais n'autorise pas le “tout voir pour tous”. Il s’agit d’un jeu d’équilibre entre exigence de transparence et nécessité de garantir secrets industriels ou vie privée.

  • Article L. 312-1-1 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA) : obligation de mise en ligne des “données essentielles” pour tous les marchés d’un montant supérieur à 40 000 € HT.
  • Article L. 2196-2 du Code de la commande publique : publication d’un avis d’attribution pour chaque marché.
  • Pour les documents non publiés en ligne, toute personne peut en demander communication auprès du pouvoir adjudicateur.

La Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA, lisible ici) règle les éventuels conflits et précise, au fil de ses avis, ce qui doit — ou pas — être transmis.

Quels documents sont systématiquement publics ? (et où les trouver)

Dès la signature du marché, plusieurs documents sont rendus publics par obligation légale ou par usage courant. Certains sont trouvables sur les plateformes dématérialisées comme BOAMP, Marchés Publics Simplifiés (SITE), ou sur les sites des collectivités.

  • L’avis d’attribution : publié sur BOAMP ou journaux habilités, il indique le nom du titulaire, montant final, nature et durée du contrat.
  • Le marché public lui-même (ou le contrat) : la version signée, avec ses annexes, devient communicable. Attention : certaines informations sensibles (secret d’affaires, secrets techniques) peuvent être occultées.
  • Les “données essentielles” : tableau synthétique mis à jour en ligne, récapitulant l’objet du marché, le montant, la durée, le nom du titulaire, le critère d’attribution principal, la date de signature et de notification.
  • Les procès-verbaux d’ouverture des plis : communicables sur demande, dans les limites de la protection du secret industriel.
  • Le rapport de présentation de la procédure : éclairant sur le choix du ou des attributaires, il est lui aussi transmissible (avec éventuelles occultations).

Pour consulter ces documents, il ne suffit pas d’un clic : seule la synthèse dite “données essentielles” est régulièrement publiée proactivement. Le reste nécessite une demande écrite auprès de la collectivité concernée.

Ce qui n’est pas communicable (ou seulement partiellement)

Transparence ne rime pas toujours avec intégralité. Plusieurs limites balisent l’accès :

  • Informations couvertes par le secret commercial et industriel : détails techniques, montages financiers, procédés protégés par la concurrence (article L. 311-6 du CRPA).
  • Données à caractère personnel : coordonnées privées d’entrepreneurs, parfois noms ou signatures.
  • Notes internes ou éléments préparatoires n’ayant pas “concouru à la décision finale” : non communicables.

En cas de censure excessive, le citoyen peut saisir gratuitement la CADA, qui rend son avis en 2 mois (le plus souvent suivi par l’administration).

Approche chiffrée : ce que la transparence représente vraiment

Selon la Direction des Affaires Juridiques (DAJ), le montant annuel des marchés publics en France s’élève à environ 100 milliards d’euros (2022). Pourtant, moins de 15 % des citoyens disent savoir exactement où trouver et comment lire un marché public, et près de 40 % ignorent qu’ils peuvent demander accès aux documents administratifs (source : Baromètre du Service Public, 2023).

Les saisines auprès de la CADA, tous sujets confondus, dépassent les 7000 demandes par an et plus de 12 % concernent spécifiquement des marchés publics ou des conventions de délégation de service public (CADA, Rapport annuel 2022).

Concrètement, comment demander un document de marché public ?

  1. Identifier l’autorité contractante (commune, agglomération, département, État).
  2. Rédiger une demande écrite (mail ou courrier) précisant les documents visés et sa motivation (facultatif, mais conseillé pour accélérer la réponse).
  3. Adresser la demande au service marchés publics ou par courrier recommandé.
  4. L’administration doit répondre sous 1 mois. En cas de refus ou d’absence de réponse, saisir la CADA.

Une réalité dans l’Hérault : exemples et enjeux

Dans l’Hérault, certaines intercommunalités — Montpelier Méditerranée Métropole ou l’Agglo Béziers Méditerranée — publient sur leur site un extrait des marchés attribués avec parfois le montant, la durée, l'objet et le nom des entreprises. Cependant, le marché signé reste délivré sur demande expresse : l’accès dépend de la vigilance citoyenne.

Un exemple frappant : la construction de la ligne 5 de tramway à Montpellier (coût global prévisionnel supérieur à 430 millions d’euros, source Delib’ Conseil Métropolitain). Plusieurs associations locales ont sollicité le dossier de consultation et le marché signé pour contrôler la réalité des clauses sociales et écologiques promises. Des passages ont été occultés (recettes issues de la publicité, procédés de maintenance), mais l’essentiel du contrat a pu être consulté. Cette pratique, bien que laborieuse, permet à la société civile de vérifier les engagements pris par les élus et les entreprises.

Des recommandations pour un usage éclairé du droit d’accès

  • Bien cibler la demande : demander le “contrat signé et ses annexes” plutôt qu’“l’ensemble du dossier”.
  • Utiliser les formulaires de contact sur le site de la collectivité, souvent plus efficaces que le courrier traditionnel.
  • En cas de refus, ne pas hésiter à rappeler la circulaire du 12 janvier 2022 relative à la publication et à la communication des pièces des marchés publics (Ministère de l’Économie).
  • Maximiser l’impact : mutualiser les demandes entre associations et citoyens permet d'entériner la publication systématique de certains documents.

Aller plus loin : transparence, innovation et limites à surveiller

L’ouverture des données publiques s’accélère avec le “Plan National pour un Numérique Vert” et la logique Open Data, mais le chemin reste long vers une publication automatique et exhaustive. À ce jour, seules 30 % des collectivités de plus de 3 500 habitants de l’Hérault publient en Open Data l’ensemble des attributions et synthèses financières (source : data.gouv.fr, relevé 2023).

Les prochaines années verront sans doute de nouveaux arbitrages : plus de transparence, oui, mais aussi davantage de pédagogie pour aider à décoder ces documents, souvent longs et complexes à décrypter pour le citoyen non initié.

L’enjeu pour la vie locale ? Installer une véritable culture du compte rendu, où chaque habitant de l’Hérault — comme partout en France — saura non seulement que la dépense publique lui appartient, mais saura surveiller et interroger les décisions qui façonneront son quotidien.

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